La pensée
Un soir, vaincu par le labeur
Où s'obstine le front de l'homme,
Je m'assoupis, et dans mon somme
M'apparut un bouton de fleur.
C'était cette fleur qu'on appelle
Pensée; elle voulait s'ouvrir,
Et moi, je m'en sentais mourir :
Toute ma vie allait en elle.
Echange invisible et muet :
A mesure que ses pétales
Forçaient les ténèbres natales,
Ma force à moi diminuait.
Et ses grands yeux de velours sombre
Se dépliaient si lentement
Qu'il me semblait que mon tourment
Mesurât des siècles sans nombre.
"Vite, ô fleur, l'espoir anxieux
De te voir éclore m'épuise ;
Que ton regard s'achève et luise !"
Sully Prudhomme (poète français 1839-1907- premier prix nobel de
littérature en 1901)