Sandrine Gestin
"A keranborn, il y avait autrefois une princesse ou Groac'h (fée) qui étalait son trésor à la lumière de la lune, certains jours de l'année. Voici ce que j'ai entendu raconter à ce sujet. J'étais alors enfant; j'avais sept ou huit ans seulement, mais j'ai bien gardé le souvenir de ce que l'on racontait, aux veillées d'hiver.
Un peu plus haut que le vieux manoir, au midi, dans un champ qui était autrefois sous bois, il y avait, à l'ombre de vieux chênes, une fontaine dont l'eau avait un goût particulier : on disait qu'elle sentait le cuivre et même l'argent. Une vieille tradition voulait aussi qu'aux environs de cette fontaine, on ne savait pas l'endroit précis, fut caché, profondément sous terre, un riche trésor d'argent, d'or et de pierres précieuses, contenu dans plusieurs bassins qui s'élevaient à fleur de terre avec leurs trésors, et une belle princesse aux longs cheveux blonds et habillée tout de blanc veillait sur eux.
Et cette princesse était si belle, que tout le bois en était éclairé. On l'avait vue, souvent, assise sur la margelle de la fontaine et peignant ses beaux cheveux avec un peigne d'ivoire, ou se promenant sous les chênes, sans perdre de vue ses trésors.
Pour pouvoir puiser à ces bassins, sans danger, il eût fallu que quelqu'un, qui ne fût pas peureux, se trouvât là, une nuit de Noël qu'il ferait clair de lune, et, pendant que sonneraient les douze coups de minuit au clocher de Plouaret, ou, selon d'autres, que tinterait la cloche de l'Elévation, à la messe de minuit, il pourrait remplir ses poches, à discrétion. Mais, malheur à lui si, après les douze coups frappés, sa main se trouvait encore dans un des bassins, car alors, il disparaissait avec eux sous terre, et on ne le revoyait plus.
On rapporte qu'un jeune homme, nommé Postic, qui voulut tenter l'aventure, disparut ainsi, et ne fut jamais revu. La princesse ou la fée l'avait sans doute entraîné au fond de ses souterrains.
Le champ a été bouleversé, à différentes reprises, par les chercheurs de trésors, mais je n'ai pas entendu dire qu'ils aient jamais rien trouvé de ce qu'ils cherchaient. Pendant longtemps, je ne passais jamais près de la fontaine sans songer à la princesse et à ses trésors. Aujourd'hui, elle est comblée, et la tradition elle-même ne vit plus guère que dans les vieilles mémoires."
Françoise Morvan (La douce vie des fées des eaux)