Pivoines de manet V.Perriol
L'impératrice de Chine et la pivoine désobéissante
Il y a de cela douze siècles, l'impératrice Wu-Hou s'assit sur le Trône du Dragon. Dotée d'une grande autorité, elle dirigea la Chine avec autant de poigne et de fermeté qu'un homme.
Par une belle nuit d'hiver, alors qu'elle festoyait dans la chambre impériale entourée de ses dames de compagnie, la délicate flagrance des fleurs du cerisier du Japon envahit soudain la pièce.
-"Mes chères fleurs de cerisier, s'écria joyeusement l'impératrice, comme c'est gentil à vous de m'offrir votre doux parfum. Vous méritez bien une récompense !"
Et elle ordonna sur le champ à l'une de ses servantes de nouer un somptueux ruban rouge autour du tronc de l'arbuste. Mais l'impératrice ne s'en tint pas là. Légèrement ivre, elle se tourna vers ses suivantes en s'exclamant :
-"Sortons donc admirer le jardin impérial et ses parterres ornés de centaines de fleurs aux corolles épanouies !"
Mais on était encore en plein coeur de l'hiver et dehors nulle autre fleur n'était visible. A la vue de la terre dénudée, l'impératrice entra dans une violente colère. Effrayées par l'ampleur de son courroux, ses dames de compagnie s'agenouillèrent devant elle et tentèrent de la ramener à la raison :
-"Votre majesté sait bien que le cerisier du Japon est le seul à fleurir en hiver. Pour admirer les fleurs plantées par centaines dans vos parterres, vous devez attendre leur période de floraison."
Folle de rage, l'impératrice refusa de les écouter et s'adressa d'une voix menaçante aux plantes de son jardin :
-"Je vous ordonne de fleurir avant l'aube, sinon un terrible châtiment vous attend !"
Dans le monde des fleurs, ce fut la panique, car les fées des fleurs étaient saisies de terreur à l'idée de provoquer la colère de l'impératrice.
-"Que faire ? Que faire ?" ne cessaient de répéter les fées entre deux sanglots.
Désespérées, elles décidèrent de consulter leur souveraine, la belle Pivoine. Mais cette nuit-là, leur reine était sortie jouer aux échecs et n'était pas encore rentrée à cause de la tempête de neige qui avait éclaté après son départ.
Toutes tremblantes, les petites fées des fleurs cherchèrent donc en vain leur reine. L'ordre de l'impératrice était formel : elles devaient toutes fleurir le lendemain matin, à l'aube.
-"Nous avons chacune notre période de floraison, nous ne pouvons quand même pas fleurir sur commande," protesta l'une d'elles.
-"Oui, mais si nous n'obéissons pas, l'impératrice de Chine va certainement nous exiler au bout du monde. Après tout, nous pourrons toujours implorer par la suite le pardon de notre reine."
Les petites fées des fleurs décidèrent donc de fleurir le lendemain matin.
Au lever du soleil, l'impératrice Wu-Hou émergea lentement d'un sommeil troublé. Ouvrant les yeux, l'ordre impossible qu'elle avait donné la veille aux fleurs lui revint en mémoire. Mais il était désormais trop tard pour l'annuler!
Curieuse, elle se rendit en toute hâte au jardin impérial. Grande fut alors sa surprise de voir que les parterres y étaient couverts de centaines de fleurs. Toutes les plantes avaient fleuri, sauf une : la reine des fleurs, la fière Pivoine, avait en effet refusé de s'incliner devant l'ordre impérial.
Sa désobéissance suscita aussitôt le dépit de l'impératrice. Tremblant de rage, le feu aux joues, cette dernière se mit alors à piétiner sur place et convoqua immédiatement le jardinier impérial.
-"Arrachez sans pitié toutes les pivoines de mon jardin, afin que tous mes sujets puissent être témoins de leur disgrâce !"
C'est pourquoi, dit-on, les pivoines ne revinrent parer la cité de Chang-an que plusieurs siècles après la mort de l'impératrice irascible.
Conte chinois tiré du livre "histoires de fleurs" d'Isabelle Lafonta
Pivoines de Manet